A-t-on encore besoin de lire ou même d'apprendre aujourd'hui ? Réflexion critique sur l'intelligence artificielle d'un technophile

Voilà près de 3 ans que l'on vit au quotidien avec Chat GPT et si vous êtes comme moi, vous êtes tombés dedans. Et quand je dis « tombé »...parfois, je demande des choses tellement stupides par paresse intellectuelle que je me dis "Non mais Greg, qu'est-ce que tu es en train de devenir ?" Oui je me parle à la 2eme personne pas vous ?

Vlan!
16 min ⋅ 14/09/2025


Cette question dérangeante m'obsède depuis des semaines.
Nous sommes en train de vivre la plus grande révolution cognitive de l'histoire de l'humanité, on a ce double effet « whaouh » devant l'étendue de ce qui est possible de faire avec l'IA et cet effet « outch » en se demandant ce qui va bien pouvoir nous rester.
Mais personne ne semble se demander si nous ne sommes pas en train de nous lobotomiser nous-mêmes avec le sourire et l'enthousiasme de celui qui vient de découvrir qu'il peut faire ses devoirs sans réfléchir.

Vous aussi, vous ressentez cette sensation troublante ? Cette facilité presque obscène avec laquelle vous déléguez votre réflexion à une machine ? Cette petite culpabilité qui vous prend quand vous réalisez que vous n'avez plus ouvert un livre depuis que vous avez découvert que ChatGPT pouvait vous résumer n'importe quel ouvrage ?
Déjà qu'avec les réseaux sociaux on avait du mal à se concentrer plus de 1 page et demi, maintenant, de plus en plus... on lâche l'affaire carrément (heureusement que j’aime lire et que pour Vlan! j’y suis contraint en quelque sorte).

Rassurez-vous, nous sommes tous dans le même bateau mais il prend l'eau. Et c'est justement parce que nous sommes tous complices de cette paresse intellectuelle qu'il devient urgent d'ouvrir les yeux sur les vrais enjeux de l'I.A..

J'en ai tellement marre d'entendre que l'I.A. est un danger pour l'humanité et qu'elle va remplacer le travail...il faut prêter attention à qui tient ce genre de discours et se demander leurs motivations.
Spoiler alert : aucun modèle d'I.A. n'est rentable et ils ont besoin de lever des fonds et donc d'affirmer qu'ils représentent le futur.

D'ailleurs, si vous avez peur de vous faire remplacer par l'IA., j'ai interrogé des centaines de personnes et j'ai passé tout l'été à transformer ce que j'avais appris en un test pour calculer votre score de survie professionnel face à l'I.A. C'est gratuit et c'est ici.
Mais surtout, je vous l’annonce en avant première, j'ai créé une masterclass pour vraiment comprendre les impacts de l'I.A. dans le monde du travail.

D’ailleurs, exclusivement pour vous, j’ai créé un coupon de réduction de 50 Euros (99 Euros au lieu de 149) : NEWSLETTERGREG.
Le coupon n’est valable qu’une semaine donc profitez-en!
En tous cas, c'est un niveau de discours et de contenus que je ne vois nulle part mais qui devrait vraiment transformer votre perspective sur le sujet.

L'I.A. révèle nos angles morts sur ce qu'est l'intelligence

Il y a quelques années, je dînais avec quelques amis et parmi eux la danseuse étoile Dorothée Gilbert.

On se connaît depuis longtemps (on a évidemment fait un épisode ensemble) mais alors qu'elle va bientôt raccrocher ses pointes, je lui ai posé une question qui m'interrogeait beaucoup : Comment faisait-elle pour se souvenir de l'intégralité du ballet et de chaque mouvement en masquant avec une grâce sans pareil, la difficulté inouïe de l'exercice ?

Elle m'a simplement répondu qu'elle ne s'en souvenait pas totalement avec sa tête mais que son corps, lui, était synchronisé avec la musique et que c'est lui qui connaissait le ballet.
Le corps à une mémoire et une intelligence propre mais je vais y revenir.

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S'il est évident que la société doit évoluer avec la technique, ici, la révolution industrielle que représente l'intelligence artificielle, nous oblige à tout repenser (l'école, le travail, le progrès...) et par conséquent à revenir aux bases de ce qu'est l'intelligence, de l'intérêt d'apprendre, de ce qui fait de nous des êtres humains tout simplement, c'est un bout de ce chemin que je vous propose de faire dans cette newsletter.

Et je préviens l'idée n'est pas de critiquer simplement l'I.A. et d'ailleurs j'utilise ces outils tous les jours.
Ils ont révolutionné ma façon de travailler.
On va aller dans le sens inverse d’une révolution industrielle non plus…
Non, c'est une invitation à regarder en face ce qui se joue vraiment : sommes-nous en train de créer des outils d'émancipation ou de nouvelles chaînes dorées ? L'intelligence artificielle va-t-elle nous libérer, nous augmenter ou nous transformer en assistés comme dans le dessin animé Wall-e ?

Mais revenons à l'intelligence parce que je trouve ce sujet intéressant.
En qualité d'humains nous avons une multitude d'intelligences : celle de la vie et du corps déjà.
Ces dernières sont évidemment les plus essentielles à priori mais même si on se concentre juste sur notre cerveau, « intelligence » s'écrit aussi au pluriel : situationnelle, temporelle (nous allons tous mourir), analytique, émotionnelle, créative etc....

Aujourd'hui, on qualifie « d'intelligence artificielle » un outil simplement capable de reproduire, en partie seulement, nos capacités cognitives analytiques.
Et ne me dites pas « non mais greg, c'est que le début, ça va s'améliorer à la vitesse grand V !!!! ».

Vous ne vous vous n’êtes peut-être pas assez intéressés à la manière dont l'I.A. fonctionne mais c'est très largement un modèle statistique prédictif. Les I.A. ne peuvent pas vraiment s'améliorer car structurellement elles sont construites de cette manière.
L'échec (relatif) de Chat GPT 5 montre que nous sommes déjà à un palier.
Quant à l'IA générale (A.G.I.), on en parle depuis des décennies et on n'y est pas et je ne crois pas qu'on y sera un jour...mais c'est mon point de vue (partagée néanmoins par tous les experts que j'ai reçu sur Vlan !).

J'aime à dire qu'être intelligent, ce n'est pas simplement de résoudre des problèmes simples ou complexes, c'est de créer de nouveaux problèmes qui n'existaient pas auparavant pour faire avancer l'espèce et évidemment, ici, l'I.A. est inopérante puisqu'elle ne se base que sur le passé.

L'intelligence est tellement plus complexe que ça

Mais avant de revenir à l'humain, il me semble essentiel de sortir de notre vision égocentrique de l'intelligence?

Et si nous reconnaissions que l'intelligence, sous de multiples formes, existe partout autour de nous depuis des millions d'années ?

Cette révélation m'a personnellement secoué. Nous passons notre temps à fantasmer sur des IA qui reproduisent notre façon de penser, alors que la nature regorge d'intelligences radicalement différentes qui résolvent des problèmes que nous n'arrivons même pas à formuler.

Prenez les octopodes. Ces créatures ont un cerveau complexe, mais leur corps et leur lignée évolutive sont si différents des nôtres qu'ils représentent une forme d'intelligence totalement "parallèle". L'expérience d'être une pieuvre est probablement aussi éloignée de la nôtre que celle d'un extraterrestre.

Et les plantes ? Ah, les plantes ! Elles peuvent écouter (en répondant aux sons de chenilles qui les grignotent), mémoriser (les mimosas se souviennent qu'une chute répétée est inoffensive), sentir, planifier et ont même une forme de proprioception. Elles partagent notre monde avec des perceptions radicalement différentes des nôtres.

Le plus spectaculaire ? Les myxomycètes, ces organismes unicellulaires (sans cerveau donc) qui peuvent résoudre le problème du voyageur de commerce (un casse-tête informatique complexe) plus efficacement que nos supercalculateurs. Des cellules donc. Une seule cellule qui calcule mieux qu'un ordinateur.

Cette découverte change tout mais pas de la manière dont vous l’envisagez

Nous vivons un véritable "moment copernicien" : la reconnaissance que l'intelligence existe sous de multiples formes, y compris dans nos créations artificielles, décentre complètement l'humain.
Nous oublions déjà trop vite l'intelligence de notre corps (il possède des neurones dans tous ces organes) qui a évolué sur des milliers d'années.
Votre corps est votre meilleur outil, il digère, transpire, gère les poisons comme le sucre et l'alcool, et fait tellement de choses hallucinantes sans qu'on ait besoin d'engager notre cerveau.
Mais surtout nous ne sommes plus au sommet d'une hiérarchie de l'intelligence, nous sommes une forme d'intelligence parmi d'autres.
D'ailleurs, j'avais fait un épisode avec le journaliste Ed Wong sur la manière dont les animaux perçoivent le monde et cet épisode permet aussi de mieux comprendre que l'intelligence est multiple et bien au-delà de nos perceptions. On y parle beaucoup des chiens d'ailleurs que vous en possédiez un ou pas.

Cette révélation devrait nous rendre plus humbles. Au lieu de ça, nous continuons à développer des IA comme si nous étions les seuls détenteurs légitimes de l'intelligence.

On nous vend l'I.A. comme l'outil ultime de démocratisation du savoir. "Tout le monde peut désormais accéder à l'intelligence", nous dit-on. "L'éducation va être révolutionnée", nous promet-on. "Les inégalités intellectuelles vont disparaître", nous susurre-t-on.

Bullshit.
On disait la même chose d'Internet...lol.... et la seule chose dont on peut être certain, c'est que nous sommes très mauvais à prédire l'avenir car force est de constater que nous ne sommes pas vraiment plus malin qu'avant Internet.

La crise invisible de la connaissance

Le problème n'est pas seulement que nous créons des IA pour de mauvaises raisons. C'est que nous confondons information et connaissance.

Camille Dejardin, philosophe et qui vient de sortir un petit ouvrage chez Gallimard dans la collection tract, pose une distinction cruciale : apprendre, c'est acquérir une connaissance, l'intérioriser et la rendre mobilisable. Ce n'est pas "ingurgiter" de l'information passivement.

Or, que fait ChatGPT ? Il nous gave d'informations pré-mâchées, nous dispensant de l'effort de transformation qui constitue l'apprentissage véritable. Une information non traitée, surtout quand elle vient d'une I.A., peut être trompeuse et fallacieuse.
Il suffit de regarder le succès du sophisme dans les médias.
En particulier quand vous n'avez plus les outils pour prendre le recul pour l'examiner.
On a tous l'impression que l'on serait suffisamment avisé pour avoir ce recul mais en réalité c'est loin d'être le cas.
Prenez l'exemple de la calculatrice, en dehors des calculs simples, nous sommes devenus incapables d'évaluer le résultat de la machine et ça ne nous viendrait même pas à l'idée de la discuter d'ailleurs.
Ce qui est vrai pour la calculatrice l'est de plus en plus pour l'information véhiculée par les médias ou l'I.A., on la reçoit de manière passive sans être capable de l'évaluer.

Les conséquences sont déjà visibles :

  • Sur la prédictibilité du monde : malgré nos supercalculateurs météorologiques, le changement climatique rend l'atmosphère moins prévisible. Plus nous avons d'outils, moins nous comprenons le monde.

  • Sur notre autonomie de jugement : le "biais d'automatisation" nous pousse à suivre aveuglément les suggestions des machines, même quand elles sont manifestement fausses. Des gens meurent parce qu'ils ont suivi leur GPS dans un ravin. Littéralement.
    Pour mémoire, 30 à 40% du temps, l'I.A. se trompe avec aplomb…

  • Sur la recherche médicale : contrairement à la loi de Moore (qui prédit que la puissance informatique double chaque année), nous découvrons de moins en moins de nouveaux médicaments malgré des investissements massifs.
    Pourquoi ? Parce que nous traitons la recherche comme un problème purement computationnel, en oubliant l'intuition humaine. Cet article passionnant suppose même que la recherche médicale va ralentir en raison de l'I.A.

  • Et le plus inquiétant : Internet, conçu pour partager l'information, est devenu un outil de confusion massive. Les algorithmes, motivés par le profit, amplifient nos pires impulsions et nourrissent même les enfants de contenus inappropriés. Les outils technologiques ne sont pas neutres et les entreprises qui les possèdent encore moins.

  • L'IA ne rend pas toutes les connaissances accessibles. Elle ne traite que le savoir déjà numérisé et ne peut aller au-delà de ce qui est déjà connu. Au mieux, elle nous enferme dans notre niveau de connaissance de 2025. Au pire, elle nous fait régresser.
    Finalement une des choses les plus positives que nous apprend l'I.A. générative, c'est qu'il est essentiel de lire puisque c'est ce qu'elle fait.

E.M. Forster l'avait prévu dès 1909 dans sa nouvelle "La Machine s'arrête" : il imaginait une humanité nourrie et instruite par une "Machine omnisciente", perdant progressivement le sens de l'espace, du toucher et l'autonomie, jusqu'à l'effondrement de la civilisation quand la Machine tombe en panne.

Nous y sommes ...enfin presque, c'est encore à nous de décider bien sûr.

Apprendre : l'acte révolutionnaire ultime

Face à cette catastrophe cognitive annoncée, que nous reste-t-il ?

L'apprentissage. Le vrai. Celui qui fait mal. Celui qui résiste.
Pourtant on associe à la liberté le fait de se libérer de tâches qui nous semblent superficielles désormais pour faire des choses plus supposées plus utiles.
Nous avons tous un biais, nous sommes optimisés pour la survie et donc notre cerveau est fainéant et ne veut s'engager cognitivement que le moins possible et lorsqu'un outil nous permet d'éviter de réfléchir, on tombe dedans.
De manière paradoxale, on cherche la liberté en apprenant moins, en lisant moins mais on se fait enfermer dans une prison aux parois floues, celle de notre représentation du monde.
Si les animaux comme la pieuvre ou simplement votre chien voient le monde de manière totalement différente, les autres humains aussi et si les « tech bro » prennent possession de votre manière d'envisager le monde, vous voyez le souci...
A noter que c'est déjà largement le cas avec les réseaux sociaux, les superproductions hollywoodiennes ou les médias...mais ces barreaux sont flous, on a du mal à les voir.

Acquérir des connaissances, permet d'enrichir sa vision du monde et donc de se rendre plus libre.
Il y a 3 sens principaux pour le terme « liberté », la liberté juridique/politique, c'est-à-dire la marge de manœuvre garantie par la loi pour disposer de sa vie, la liberté matérielle, c'est-à-dire la marge de manœuvre physique (non-emprisonnement, non-empêchement) et puis la liberté psychologique, c'est-à-dire la capacité de faire en conscience ses propres choix.
On pourrait aussi parler de libre arbitre car on peut se sentir libre tout en étant esclave par exemple en conservant sa liberté de penser tout en étant physiquement contraint mais cela peut aussi être l'exact inverse : l'esprit peut être contraint sans que le corps ne le ressente. C'est ce que l'on nomme l'aliénation.
Nous sommes évidemment tous aliénés par la société et ses règles.
L'effet Dunning-Kruger nous a appris que moins on sait, moins on doute du peu que l'on sait et vise et versa...
Cette dépendance est souvent acceptée par ignorance car plus on ignore moins on questionne et moins on questionne, plus on accepte ce qui relève d'un choix possible présenté comme une nécessité par ceux qui en tirent profit. Les « techbros » donc...

Mais ce n'est pas tout, Camille Dejardin nous rappelle pourquoi apprendre est un acte existentiel mais aussi révolutionnaire :

  • C'est une nécessité vitale : les Inuits ont survécu dans l'Arctique grâce à leur capacité d'apprentissage et la transmission. Affaiblir la recherche et l'enseignement est un "suicide collectif".

  • C'est un besoin psychologique et existentiel : apprendre nous constitue en tant qu'humains et individus. C'est ce qui nous permet de forger notre propre trajectoire loin du "prêt-à-penser.

  • C'est la condition de notre liberté : comme on l'a vu l'apprentissage est fondamental pour la liberté psychologique - la capacité de faire des choix conscients, de juger, de remettre en question. Il nous permet de "devenir acteur de sa vie plutôt que de la subir".

  • C'est une source d'épanouissement : l'effort d'apprendre procure une "gratification durable" et conduit à un sentiment d'accomplissement, de puissance et de bonheur que ne pourra jamais nous donner un copier-coller de ChatGPT.

  • Enfin tout le monde cherche à se réaliser, à trouver du sens alors que la réponse est là devant nos yeux : la réalisation de soi dépend de l'apprentissage et d'une forme de courage contre la facilité

Dans une ère « sans friction », j'aime l'idée de faire l'éloge de la difficulté.
On parle souvent de confiance en soi mais cela ne s'apprend pas par défaut.
La seule manière de la développer, c'est en se concentrant sur sa conscience, sa mémoire, le décentrement de soi, engagement vers et pour l'extérieur.
La confiance en soi vient aussi de l'occasion de prouver sa valeur et donc de gagner en compétences et donc d'apprendre.
Apprendre favorise le sentiment d'être acteur de sa vie, de pouvoir concrétiser ses désirs et donc d'être puissant.

Je possède une boîte à musique, on l'appelle souvent la boîte magique car en tournant une manivelle on peut activer une enceinte connectée elle-même à une carte SD. Le fait de l'action (tourner la manivelle pour générer de l'énergie et donc de l'électricité) produit, pour les personnes présentes, le même effet que si je jouais de la musique.
Pourtant jouer de la musique ce n'est évidemment pas de tourner une manivelle, c'est apprendre pendant de longues heures à maîtriser un instrument de musique.
L'I.A. permet de « faire de la musique » en appuyant sur des boutons et par là même, elle abaisser le niveau pour consommer immédiatement mais cela alimente un mal-être à long terme.

L'estime de soi gagnée à force d'effort et de défi relevés peut excéder la recherche de bien-être.

L'effort et la confrontation à la difficulté sont des leviers de transformation et de stimulation. Notre époque, obsédée par la facilité, détruit systématiquement la curiosité et la capacité d'émerveillement.

L'école actuelle, en dévalorisant la difficulté, produit des générations entières incapables de persévérer face à l'obstacle. Et maintenant, l'IA achève le travail en nous promettant que nous n'aurons plus jamais à faire d'efforts.

C'est un piège mortel.

Car notre finitude - dans le temps, l'espace, et l'esprit - est précisément la condition de notre créativité et de notre mouvement. Se comparer aux machines sur leurs capacités nous fait oublier ce qui nous rend uniques : notre capacité à "apprendre à vivre".
La machine a une double infériorité : elle ne pense pas dans un corps et dans un vécu ni dans une lignée. Elle n'a pas conscience du temps alors que c'est le plus grand déterminant de la vie humaine. C'est notre finitude qui nous fait nous mettre en mouvement.
L'humain est tellement plus que l'addition de compétences, se comparer à une machine est presque insultant et en réalité, l'humain n'est menacé de remplacement que quand il se compare aux machines en oubliant ce qui fait de lui un être totalement à part entière.

L'IA à l'école : le crash test de notre époque

L'irruption de ChatGPT dans l'éducation révèle l'ampleur du problème.

D'un côté, des enseignants paniqués qui voient leurs élèves rendre des devoirs générés par IA. De l'autre, des technophiles qui prétendent que l'IA va "révolutionner l'éducation" en personnalisant les apprentissages.

J'ai l'impression que les deux camps passent à côté de l'essentiel.

L'IA n'est qu'un révélateur de ce qui dysfonctionne déjà dans notre système éducatif. Si les élèves préfèrent ChatGPT à leurs cours, c'est peut-être que nous avons transformé l'école en usine à information plutôt qu'en laboratoire d'apprentissage (otium -- Skhôle toussa....oui je sais, je vous en ai déjà tellement parlé).

Le vrai défi n'est pas de bannir l'IA des classes ou de l'intégrer aveuglément. C'est de redéfinir ce que signifie apprendre à l'ère de l'intelligence artificielle.

Car oui, l'IA peut être un outil formidable - pour gagner du temps sur les tâches répétitives, pour explorer des hypothèses, pour stimuler la créativité. Mais à une condition absolue : maintenir le contrôle sur le processus d'apprentissage et surtout apprendre aux enfants là où l'I.A. ne pourra jamais les remplacer : empathie, tâches physiques complexes, ethiques, gouvernance...

Utiliser ChatGPT pour qu'il fasse nos devoirs, c'est comme utiliser une calculatrice pour apprendre les tables de multiplication. On obtient le résultat sans acquérir la compétence.
La neuroscientifique Samah Karaki expliquait déjà sur mon podcast que le souci de l'école était d'être tellement performatif et de ne ce concentrer que sur les notes.
L'essentiel n'est pas le résultat mais le processus par lequel vous êtes passés pour y arriver.
Et demander la réponse à une I.A. n'est pas un processus....

L'objectif doit rester le développement de nos capacités propres : la raison, l'esprit critique, la capacité à questionner, à douter, à créer du lien.

L'attention : notre dernière ligne de défense

Au fond, la bataille qui se joue n'est pas technologique. Elle est attentionnelle.

L'IA nous promet un monde sans effort, sans friction, sans résistance. Un monde où toutes nos questions auraient des réponses instantanées, où tous nos désirs seraient anticipés, où toute difficulté serait aplanie.

Ce monde-là nous tuerait à petit feu.

Car c'est dans la résistance que nous nous construisons. C'est face à l'obstacle que nous développons notre force. C'est dans l'effort que nous trouvons le sens.

Utiliser l'I.A. pour éviter de réfléchir, c'est comme prendre l'ascenseur pour éviter de marcher : à court terme, c'est pratique. À long terme, nos muscles s'atrophient.

L'attention est notre muscle le plus précieux. Et comme tout muscle, il a besoin d'entraînement, de résistance, de défi.

Quand je demande à ChatGPT de rédiger mes emails, j'économise 30 secondes mais j'abandonne 30 secondes d'exercice mental. Quand je lui demande de résumer un livre, j'évite 3 heures de lecture mais je me prive de 3 heures de réflexion personnelle.

Ces micro-abandons s'accumulent. Et un jour, nous nous réveillons avec un cerveau ramolli, incapable de soutenir un effort intellectuel prolongé.
Je reprends l'exemple du livre mais combien de pages pouvez-vous lire sans avoir envie de saisir votre téléphone ?

Les jeunes générations : cobayes malgré eux

Ce qui m'inquiète le plus, c'est que nous sommes en train de mener une expérience grandeur nature sur les jeunes générations.

Des enfants qui grandissent avec ChatGPT comme assistant personnel. Des adolescents qui n'ont jamais connu l'effort de chercher une information dans un livre. Des étudiants qui rendent des dissertations générées par IA sans même les relire.

Nous créons des générations entières d'humains augmentés... mais augmentés de quoi ? De la capacité à déléguer leur réflexion ? De l'art de poser les bonnes questions à une machine ? De l'habileté à distinguer le vrai du faux dans un océan de contenus générés ?

Ou bien nous créons des générations diminuées ?

Des humains qui ont perdu l'habitude de l'effort intellectuel. Qui paniquent dès qu'ils n'ont plus accès à leur assistant numérique. Qui ne savent plus faire confiance à leur propre jugement.

L'histoire nous enseigne que chaque révolution technologique transforme profondément l'humain. L'écriture a transformé notre mémoire. L'imprimerie a transformé notre rapport au savoir. Internet a transformé notre attention.

L'IA va transformer notre capacité de réflexion. Dans quel sens ? Cela dépend entièrement des choix que nous faisons maintenant.

Le paradoxe de l'intelligence planétaire

Et comme je le mentionnais au début de cette newsletter, au moment même où nous développons des intelligences artificielles de plus en plus sophistiquées, nous découvrons que l'intelligence existe partout autour de nous depuis toujours.

Les champignons qui créent des réseaux de communication souterrains complexes. Les abeilles qui dansent pour transmettre des informations géographiques précises. Les bactéries qui prennent des décisions collectives.

Cette "intelligence planétaire" dont parle Bridle nous invite à une révolution de l'humilité. Au lieu de créer des I.A. pour dominer le monde, nous pourrions développer des outils pour mieux comprendre et coopérer avec toutes ces formes d'intelligence qui nous entourent.

Imaginez des I.A. conçues non pas pour nous remplacer, mais pour nous aider à décoder les langages du vivant. Des systèmes qui nous permettraient de "parler" avec les forêts, de comprendre les océans, de collaborer avec les écosystèmes.

Cette vision n'est pas de la science-fiction. C'est un choix de société.

Nous pouvons continuer à développer des I.A. pour maximiser les profits et minimiser l'effort humain. Ou nous pouvons les réorienter vers une meilleure compréhension du monde et de notre place dans l'univers.

La première voie nous mène vers l'assistanat cognitif et l'atrophie intellectuelle. La seconde vers une nouvelle forme de conscience planétaire.

Résister par l'apprentissage : un programme de résistance cognitive

Concrètement, comment résister à la facilité toxique de l'IA ?

  1. 1ere règle : préserver des espaces d'effort personnel. Gardez des domaines où vous vous interdisez l'assistance artificielle. Pour moi, c'est l'écriture de cette newsletter, la lecture de livres, les interviews que je mène. Chaque phrase est réfléchie, pesée, construite. L'effort fait partie du plaisir même si, pour être transparent, une fois écrite, j'uniformise le style via Claude.

  2. 2ème règle : cultiver la lenteur. Dans un monde d'instantané, prendre le temps devient révolutionnaire. Lire un livre entier au lieu d'en demander le résumé. Réfléchir avant de poser une question à ChatGPT. Se perdre volontairement dans ses pensées.

  3. 3ème règle : questionner systématiquement. Ne jamais prendre une réponse d'IA pour argent comptant. Croiser les sources. Vérifier. Douter. L'esprit critique est notre meilleure défense contre la désinformation, qu'elle vienne d'humains ou de machines.

  4. 4ème règle : maintenir le contact avec le réel. Jardiner, cuisiner, bricoler, dessiner... Toutes ces activités qui sollicitent nos sens et notre corps nous ancrent dans le monde physique. L'IA peut simuler beaucoup de choses, mais pas la sensation d'une bêche qui rencontre la terre.

  5. 5ème règle : transmettre, enseigner ce qu'on apprend, même de façon informelle. L'acte de transmission force à structurer sa pensée, à identifier les lacunes, à approfondir sa compréhension. C'est le sens de ma vie donc je ne suis peut-être pas très objectif sur ce dernier point mais ça me semble central.

L'IA comme révélateur : ce qu'elle nous apprend sur nous-mêmes

Au final, l'intelligence artificielle est peut-être le plus grand révélateur de notre époque. Elle nous force à répondre à des questions fondamentales : Qu'est-ce qui fait notre humanité ? Que voulons-nous déléguer et que voulons-nous préserver ? Quelle est notre vision de l'intelligence et de l'apprentissage ?

L'IA nous montre nos faiblesses : notre addiction à la facilité, notre paresse intellectuelle, notre tendance à chercher des raccourcis. Mais elle révèle aussi nos forces : notre créativité, notre capacité d'adaptation, notre soif de comprendre.

Face à une machine qui "pense" différemment de nous, nous sommes obligés de définir ce qui nous rend uniques. Et cette définition ne peut pas être : "nous sommes plus forts" ou "nous calculons plus vite". Ces batailles-là, nous les avons déjà perdues.

Notre spécificité, c'est notre capacité à donner du sens.

Une IA peut générer des textes parfaitement cohérents sans comprendre ce qu'elle écrit. Elle peut résoudre des équations complexes sans saisir leur beauté. Elle peut analyser des œuvres d'art sans être émue.

Nous, humains, nous transformons l'information en connaissance, la connaissance en sagesse, l'expérience en sens. Nous sommes des créatures de signification dans un univers qui n'en a pas a priori.
C'est cela qu'il faut préserver. C'est cela qu'il faut cultiver.

Vers une écologie de l'attention

L'enjeu dépasse largement la technologie. Il s'agit de développer une véritable "écologie de l'attention" - une façon de préserver et cultiver nos capacités cognitives comme nous préservons la biodiversité.

Cette écologie implique :

  • Des espaces de déconnexion : des moments et des lieux où nous nous interdisons l'assistance numérique.

  • Des pratiques d'entraînement mental : comme nous allons à la salle de sport pour muscler notre corps, nous avons besoin d'exercices pour muscler notre cerveau.

  • Une éducation à la résistance : apprendre aux jeunes générations à identifier et résister aux pièges de l'assistanat cognitif.

  • Une réappropriation de la lenteur : revaloriser les processus longs, la maturation, la réflexion approfondie.

  • Une culture de la curiosité : maintenir vivant ce qui nous pousse à chercher, explorer, questionner.

Cette écologie de l'attention n'est pas une lubie de nostalgiques. C'est une nécessité de survie cognitive. Car une humanité qui aurait perdu sa capacité de réflexion autonome serait une humanité à la merci de ceux qui contrôlent ses outils de pensée et personnellement je ne veux pas de ce monde-là.

L'avenir n'est pas écrit

Je termine cette longue réflexion sur une note d'espoir. L'avenir de notre relation avec l'I.A. n'est pas déterminé. Nous avons encore le choix.

Nous pouvons choisir de développer des IA qui nous diminuent ou des IA qui nous révèlent. Des outils qui nous rendent paresseux ou des outils qui nourrissent notre curiosité. Des systèmes qui nous isolent ou des systèmes qui nous connectent au monde.

Mais ce choix, nous devons le faire maintenant. Car chaque jour qui passe, nous prenons des habitudes qui seront de plus en plus difficiles à changer. Chaque fois que nous déléguons une tâche cognitive par pure flemme, nous creusons un peu plus le sillon de la dépendance.

L'IA peut être notre meilleur outil ou notre pire ennemi. Elle peut nous aider à décoder les mystères de l'univers ou nous transformer en zombies cognitifs. Elle peut nous connecter à l'intelligence planétaire ou nous enfermer dans nos bulles narcissiques.

La différence, c'est notre niveau de conscience.

Tant que nous utilisons l'IA en conscience, comme un outil au service de nos objectifs d'apprentissage et de compréhension, elle peut nous être bénéfique. Dès que nous la laissons penser à notre place, nous entrons en territoire dangereux.

Le nuage est nuageux, comme dit si bien Bridle. La complexité de notre époque ne se résoudra pas par des solutions simples. Mais c'est justement cette complexité qui rend l'aventure humaine passionnante.

Alors, qu'allez-vous choisir ?

L'assistanat cognitif ou l'autonomie intellectuelle ? La facilité toxique ou l'effort libérateur ? La délégation passive ou l'apprentissage actif ?

L'avenir de notre humanité se joue peut-être dans ces microchoix quotidiens. Dans cette seconde d'hésitation avant de demander à ChatGPT de faire quelque chose que nous pourrions faire nous-mêmes.

Dans cette capacité à dire non à la facilité pour dire oui à la difficulté.

Dans cette résistance humble mais têtue d'humains qui refusent d'abdiquer leur droit à penser.

L'intelligence artificielle peut nous augmenter ou nous diminuer. À nous de choisir.

Et vous, la prochaine fois que vous ouvrirez ChatGPT, vous poserez-vous cette question : "Est-ce que je l'utilise pour apprendre ou pour éviter d'apprendre ?"

La réponse déterminera si vous faites partie de la solution ou du problème.

À vous de voir.

Cette semaine sur Vlan!

#362 Déconstruire le mythe du père parfait avec Papatriacat

Cédric Ronstein est le créateur du compte Instagram et du podcast Papatriacat sur lequel il parle de parentalité et plus particulièrement de la place des pères dans cette parentalité.
Il défend très fort que les pères sont trop souvent peu impliqués dans leur rôle et ensemble nous avons une discussion à bâtons rompus sur tous les sujets du patriacat et de ses impacts dans la parentalité.
Comme me l’a dit Victoria qui travaille avec moi : “ca fait du bien d’entendre un homme tenir ces propos”.

#59 Quitter son job sans tout plaquer avec Valérie Duez-Ruff

Valérie Duez-Ruff est avocate et coach, autrice du livre "Quitter son job et négocier son départ". Elle accompagne depuis plusieurs années des cadres et dirigeants dans leur réflexion autour de leur place dans l’entreprise, de leur alignement, et des stratégies de départ possibles.

Dans cet épisode, nous parlons de ces moments où l’on sent que le travail ne fait plus sens, de la peur de partir, de ce que Valérie appelle les mals jobs – ces postes qui ne sont pas fondamentalement toxiques mais qui ne nous nourrissent plus. J’ai questionné Valérie sur la manière de repérer ces signaux faibles que notre corps nous envoie, sur l’importance d’être à l’écoute de soi, mais aussi sur les moyens concrets de quitter une entreprise de manière sereine, sans brûler les ponts.

Des liens tout à fait incroyables

  1. Quand un homme s’occupe d’un bébé, son cerveau se transforme
    Si vous suivez bien les épisodes, l’un de mes favoris sur la question du genre, c’est celui avec le primatologue Franz de Waal et il explique cela partaitement sur les chimpanzés mais désormais c’est une anthropologue qui arrive à la même conclusion: le cerveau se transforme et réagit comme celui d’une mère.
    De la même manière Franz expliquait bien que “l’instinct maternel” était totalement appris.

  2. Les sacrifices d’arrêter la lecture

    Si jamais vous êtes sur votre faim avec ma newsletter, cete chercheuse linguiste a écrit elle aussi un article sur les plaisirs et sacrifices que l’on fait quand on relègue la lecture à Chat GPT.
    C’est assez incroyable à lire et évidemment très lié à ce que je raconte égalmeent mais elle amène d’autres perspectives intéressantes.

  3. Les autocrates n’agissent plus comme Hitler ou Staline mais nous manipule

    Cet article est évidemment très lié à ma newsletter également, cela me fait pensé aussi au rôle des médias sociaux dans l’assassinat de Kirk et de manière plus large dans la montée de la haine des uns contre les autres. Cet article est un must read je pense pour comprendre. ce qu’il y a en jeu et ce que l’I.A. pourrait apporter au problème.

Je me limiterais toujours à 3 liens donc voilà c’est tout pour cette semaine (sachant que Vlan! La newsletter C’est bimensuel comme Vlan! Leadership), n’hésitez pas à me faire des retours et à partager la newsletter à vos amis, collègues, connaissances si vous la trouvez pertinente. Il y a un bouton juste en dessous !

Vlan!

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Par gregory pouy

Je suis Grégory Pouy, un passionné des liens humains et des transformations qui façonnent notre société. Après des années dans le monde de la transformation digitale, j’ai décidé de prendre un autre chemin : celui de la réflexion, de l’authenticité et de la nuance.

Je suis profondément convaincu que dans un monde qui va toujours plus vite, prendre le temps de comprendre est une force.

À travers mon podcast, mes écrits, mes conférences et mes accompagnements et désormais cette newsletter je cherche à donner des clés pour mieux appréhender le monde, avec lucidité et bienveillance afind d’être plus serei dans un monde instable.

Ce qui me motive, c’est d’aider chacun à poser un regard différent sur la vie, à s’interroger sur ce qui compte vraiment, et à nourrir des liens profonds et sincères. Je ne prétends pas avoir toutes les réponses, mais je pose les bonnes questions – celles qui permettent d’avancer avec plus de clarté et de conscience

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