Penser contre soi-même : un acte radical ?

Avez-vous déjà rompu une amitié de 10 ans à cause d'un désaccord politique ? Bloquez-vous systématiquement sur les réseaux sociaux ceux qui ne partagent pas votre vision de la guerre à Gaza, Sarko, les retraites ou le projet de loi Zucman ? Évitez-vous les repas de famille pour ne pas affronter votre oncle "réactionnaire" ou votre nièce "woke"?

Vlan!
13 min ⋅ 26/10/2025

Si vous avez répondu oui à l'une de ces questions, félicitations : vous aussi participez activement à l'effondrement de notre démocratie.

Je ne pensais jamais un jour voir des amitiés de plusieurs années voler en éclats pour des désaccords sur des événements se déroulant à 3 000 km.
Pourtant, malgré ma supposée ouverture d'esprit et la nuance dont j'aime tant me vanter, j'ai moi aussi glissé dans ce piège.
Je me surprends parfois à juger silencieusement ce proche qui "ne comprend rien" à tel conflit ou à éviter certains sujets avec des amis de longue date.

Soyons clairs : pendant que nous nous déchirons sur des questions identitaires et que nous nous isolons dans nos bulles confortables, les fondements mêmes de notre système démocratique s'effondrent.
Nous sommes devenus les idiots utiles d'un système qui prospère sur notre division.

 

L'impératif d'une alliance contre l'autocratie : au-delà des clivages traditionnels

Je ne suis pas en train de vous parler d'une menace lointaine ou hypothétique.
En France comme ailleurs, les piliers fondamentaux de nos républiques démocratiques - l'état de droit, la séparation des pouvoirs, la liberté de la presse, l'indépendance de la justice - sont systématiquement mis sous pression. La tendance est mondiale, et elle s'accélère.
J’étais même surpris de voir Alain Juppé défendre la décision de justice concernant Sarkozy, expliquant que la justice doit être indépendante du pouvoir et que c’est ce qui nous différencie d’une monarchie.
Dans le même temps, je vois des personnes donner leur avis sur le sujet quand le dossier d’instruction fait 400 pages qu’aucune de ces personnes n’a lu ni n’est en capacité de lire et que 150 professionnels ont travaillé dessus pour qu’au final 3 magistrats donnent un avis commun.
La justice peut faire des erreurs comme le rappelle Alain Juppé et c’est la raison pour laquelle les appels sont possibles.
On peut discuter de l’exécution provisoire mais qu’il soit en prison n’est pas une “honte” ni une attaque de l’état de droit, c’est justement tout l’inverse. CQFD.
Pour le moment la justice tient bon en France mais pour combien de temps ?
Qu’en sera-t-il lorsque le RN aura pris le pouvoir ? Il suffit de regarder du côté de Trump pour voir le chemin que cela pourrait prendre.
La confiance dans nos institutions est fondamentale.
Même quand nous ne sommes pas d’accord avec la décision ou qu’elle va à l’inverse de nos croyances, typiquement quand le ministère de l’intérieur et le conseil d’état disent que LFI est un parti de gauche et non pas d’extrême gauche - même si on déteste Melenchon, il faut se ranger avec nos institutions et différencier la communication d’un programme.

Ce qui est valable en France est également valable pour la cour internationale de justice bien sûr qu’il s’agisse des dirigeants du Hamas ou du gouvernement de Netanyahou ou bien d’autres crises moins médiatisées comme celle des Ouighours en Chine.

Gary Kasparov, grand maître d'échecs et dissident russe, l'a parfaitement formulé : "Le plus grand danger pour une démocratie vient désormais de l'intérieur." Lui qui a vécu sous un régime autoritaire sait reconnaître les signes avant-coureurs.

D'un côté, ceux qui, malgré leurs différences idéologiques, croient encore aux institutions démocratiques, à la liberté d'expression, à l'état de droit. De l'autre, ceux qui sont prêts à sacrifier ces principes sur l'autel de leurs convictions, qu'elles soient religieuses, identitaires ou économiques.

Le vrai clivage n'est plus entre gauche et droite, mais entre démocrates et autocrates.
Tous ceux qui remettent en cause nos institutions comme Marine Le Pen, Nicolas Sarkozy ou Jean Luc Mélenchon (pour ne citer qu’eux - oui je ne l’aime pas non plus et quand il dit “la République c’est moi”..ahem) sont des personnes dangereuses pour l’unité de la France.
La « démocratie illibérale » est un joli terme pour dire « autocratie » et c’est vers là que nous nous dirigeons pas à pas, pays après pays.

Ce que les dissidents dans les régimes non-démocratiques ont compris depuis longtemps, c'est la nécessité vitale de s'allier malgré les désaccords.
Dans les prisons soviétiques, les cellules réunissaient parfois des nationalistes ukrainiens, des sociaux-démocrates et des libéraux.
Des gens qui, en temps normal, se seraient détestés. Mais face à l'oppression commune, ils ont appris à mettre leurs différends de côté.

Quand j’écris ces lignes, je pense à un podcast extraordinaire que j’ai écouté.
Celui de Gary Kasparov, critique féroce de l'administration américaine de Biden sur de nombreux sujets, qui pourtant invite Jake Sullivan, conseiller à la sécurité nationale sous Biden, à dialoguer dans son podcast.
Pourquoi ? Parce qu'ils reconnaissent tous deux l'ampleur de la menace qui pèse sur la démocratie américaine avec Trump.
Comme l'a dit Kasparov : "Nous avons des désaccords trop nombreux pour être énumérés, mais nous sommes unis face à cette menace existentielle."
Je me suis longtemps posé la question de recevoir des personnes avec lesquelles je n’étais pas d’accord sur Vlan ! et je crois que cette newsletter est la réponse à mes propres questionnements. Ça va être important pour moi et donc pour vous d’ouvrir à d’autres discours mais pour un bien plus précieux je crois. 

Aussi surprenant que cela puisse paraître, c’est précisément ce que Guillaume Meurice avait proposé sur mon podcast il y a 2 ans maintenant.
Il n’y a pas « d’humain providentiel » et si presque l’intégralité des Français pense la France en perdition (90% selon cette étude d’Ipsos qui vient de sortir , c’est une raison de plus pour dépasser nos différends je crois.

En France, les signaux d'alarme clignotent depuis longtemps. L'abstention record, la défiance envers les institutions, la montée des extrêmes, le rejet du "système" sont autant de symptômes d'une démocratie malade.
Les études d'opinion le confirment : une part croissante de Français, notamment parmi les jeunes, ne considère plus la démocratie comme le meilleur système politique.
Mais on se trompe de combat je crois, le souci n’est évidemment pas la démocratie mais un système néolibéral en roue libre.

Nous jouons avec le feu en pensant que "ça n'arrivera pas chez nous". Les Hongrois, les Turcs, les Israéliens, les Américains, les Argentins ou les Brésiliens… pensaient la même chose avant de voir leurs démocraties se transformer en "démocratures" (oui ce terme est dans Wikipédia).

J’ai fait plusieurs épisodes sur l’écoute active mais il semblerait que nous soyons collectivement mauvais pour la pratiquer et que les réseaux sociaux associés à l’ingérence russe ne nous aident vraiment pas.
Nous voulons tous collectivement plus ou moins la même chose : c’est-à-dire vivre en paix, en sécurité et de manière confortable tout en pouvant exprimer nos idées.
 Là ou nous différons pour la majorité, c’est sur les moyens d’y arriver mais nous avons quand même une base commune et c’est l’essentiel.

Alors je sais que le souci est que désormais nous ne réfléchissons plus avec les mêmes faits ou en tous cas nous en avons une lecture très différente.

L'échec de la conversation et la menace autoritaire : des signes qui ne trompent pas

J'ai récemment écouté un podcast américain (the necessary conversation) particulièrement troublant où des membres d'une même famille tentaient de discuter de l'état de la démocratie.
Ce qui m'a frappé, ce n'était pas tant leurs désaccords que l'impossibilité totale de dialoguer.
Le fils, un auteur reconnu et sa sœur sont démocrates et progressistes tandis que les 2 parents sont des « pro Trump » à la vie à la mort et surtout le père est tellement désagréable avec ses enfants dès qu’il s’agit de politique.
Mais les 4 se pretent au jeu depuis un moment.

Dès qu'un fait est mentionné - comme la suspension d'un animateur de télévision suite à des pressions gouvernementales, ou la censure d'un rapport sur l'extrémisme - le père répond invariablement par un "Here we go" (C'est reparti) méprisant, refusant même d'écouter l'argument jusqu'au bout.

Je ne suis pas dupe qu’ils jouent tous des rôles et qu’ils s’enferment dedans mais cette scène familiale illustre parfaitement ce qui se passe à l'échelle de nos sociétés.
Nous avons perdu la capacité d'écouter. Nous réagissons avant même d'avoir compris. Nous présumons de la mauvaise foi de l'autre avant même qu'il ait terminé sa phrase.

Ne vous y trompez pas : cette fragmentation du dialogue n'est pas un accident, mais une condition préalable à l'émergence de l'autoritarisme.

En France, nous en sommes arrivés à un point où la simple mention de certains sujets - immigration, laïcité, identité - provoque immédiatement des réflexes pavloviens qui rendent toute conversation constructive impossible.
Nous sommes devenus experts dans l'art de disqualifier l'autre ("islamogauchiste", "réactionnaire", "woke", "facho" « antisémite », « mascu », « féministe ») pour éviter d'affronter ses arguments.
Je ne dis pas que certaines personnes ne sont pas foncièrement racistes ou antisémite (les 2 sont bien ancrés en Francem malheureusement) ou tout autre chose bien sûr mais il faut écouter pourquoi ces personnes pensent de cette manière et revenir à l’objectif commun pour trouver des manières qui correspondent à tout le monde d’y arriver.

Par exemple, on nous parle beaucoup de sécurité, du fait que la justice n’est pas assez dure (sauf pour Sarko), qu’il y a trop de laxisme, pas assez de policiers (pour mémoire Sarko avait supprimé 40% des forces de police quand il était en charge.
Le camp d’en face (auquel je me sens appartenir) vont dire que l’intégration républicaine (mange du saucisson et oublie tout ce que tu es mais accepte quand même le racisme culturel français), les inégalités systémiques, la structure même des banlieues font que les personnes ne peuvent pas bien s’intégrer alors qu’elles n’auraient envie que de la même chose que nous tous.

Le vrai est sans doute entre les 2 et en discutant nous pourrions sans doute tomber d’accord sur beaucoup plus de choses qu’on ne le pensait initialement.

Pendant ce temps, les signes avant-coureurs d'une dérive autoritaire se multiplient dans notre paysage politique. La tentation est forte, des deux côtés de l'échiquier.

D'un côté, nous voyons émerger un autoritarisme qui se drape dans les habits de l'ordre et de la tradition. On y parle de "remigration", de "grand remplacement", on y rêve d'un pouvoir fort qui mettra au pas les minorités turbulentes et rétablira l'homogénéité culturelle perdue.

De l'autre, se développe un autoritarisme progressiste, qui au nom de la lutte contre les discriminations, justifie la censure, l'annulation, et parfois même l'usage de la violence contre ceux qui “pensent mal”.
Encore cette semaine je me suis fait attaqué sur Linkedin parce que j’étais trop “soft” sur la décroissance par exemple.
Partout on pratique les procès d'intention, on y traque le moindre écart de langage, on y condamne les personnes pour ce qu'elles sont plutôt que pour ce qu'elles font.

Ces deux formes d'autoritarisme, apparemment opposées, sont en réalité les deux faces d'une même médaille. Elles partagent un même mépris pour le pluralisme, une même intolérance à l'ambiguïté, et surtout, une même conviction que la fin justifie les moyens.

Hannah Arendt nous a pourtant avertis que c'est précisément cette "banalité du mal" qui rend possible les pires dérives - cette conviction que nos actions, aussi extrêmes soient-elles, sont justifiées par la noblesse supposée de notre cause. Ce qui définit le totalitarisme, nous rappelle-t-elle, n'est pas tant l'idéologie que cette volonté d'éliminer toute forme de spontanéité et de pluralité humaine au nom d'une vérité unique et indiscutable.

L'Histoire nous enseigne que lorsque cette idée s'installe - que la pureté de nos intentions justifie l'abandon des règles démocratiques - le pire devient possible.

Regardons autour de nous. La liberté d'expression recule partout, au nom de la lutte contre les "fake news" ou la "haine en ligne". L'indépendance de la justice est constamment remise en question. Les médias sont soit diabolisés, soit domestiqués. Les contre-pouvoirs sont systématiquement affaiblis.

Même si Macron met à mal la démocratie, il reste un démocrate qui est convaincu d’avoir raison et donc n’écoute personne.
C’est sans doute pathologique comme on le soulignait dans un épisode.
Mais ne nous leurrons pas : ce qui est arrivé en Hongrie, en Turquie ou au Brésil peut parfaitement arriver chez nous.

Ces pays n'ont pas basculé du jour au lendemain dans l'autocratie. Leur démocratie s'est érodée progressivement, pendant que les citoyens étaient trop occupés à se déchirer entre eux sur d'autres sujets pour remarquer la menace commune qui pesait sur leurs libertés.

Le "playbook" autoritaire est toujours le même, qu'il vienne de la droite ou de la gauche :

  1. Polariser la société pour la rendre ingouvernable

  2. Se présenter comme le sauveur capable de rétablir l'ordre

  3. Identifier un ennemi intérieur responsable de tous les maux (les étrangers, les pauvres, les riches…)

  4. Affaiblir progressivement les contre-pouvoirs

  5. Transformer les institutions démocratiques en coquilles vides

La bonne nouvelle ? Il est encore temps de réagir.
Mais cela exigera de nous un effort considérable, presque contre-nature : celui de penser contre nous-mêmes.

Penser contre soi-même : le chemin ardu vers le salut démocratique

J’essaie souvent de penser contre moi-même ou à minima d’avoir du recul sur mes propres biais.
Ce petit décentrement est une qualité que je cherche dans les personnes avec qui j’échange.
Par exemple, je l’ai déjà dit plusieurs fois, j’ai totalement conscience du racisme en moi, il est culturel en France et donc je l’ai intégré, je peux l’observer et donc le maîtriser. Idem pour l’antisémitisme.
Et je pense que c’est essentiel d’avoir l’honnêteté intellectuelle de le reconnaître.
Rien ne me fait plus peur qu’une personne qui me dit « je ne vois pas les couleurs », “je ne suis pas antisémite” ou encore “tous les hommes ne sont pas pareil”.
Parce qu’alors cela signifie que la personne est surtout aveugle à ses propres biais.

Commençons peut-être par déconstruire cette idée du "moi-même", comme je l’avais fait avec la psychologue Ines Weber sur Vlan !
Qui est ce "moi" que nous défendons si ardemment dans nos disputes politiques ? Est-il vraiment le fruit de notre libre pensée, comme nous aimons le croire ? 

La vérité est plus humble. Notre "moi" politique est largement le produit du hasard : notre lieu de naissance, notre milieu social, notre éducation, les médias que nous consultons, les algorithmes qui nous enferment dans des bulles informationnelles.
Si j'étais né dans une famille différente, à une époque différente, dans un pays différent, mes convictions seraient probablement radicalement autres.
Je vous remets la chanson de Goldman (Né en 17 à Leidenstadt) ou pas ?

Cette prise de conscience est le premier pas vers l'humilité intellectuelle.
Ma famille votait à droite et mon père m’a lavé le cerveau dans ces croyances et pendant longtemps j’y ai cru.
J’ai voté à droite moi aussi, je pense même avoir voté pour Sarkozy à l’époque, c’est dire.
Mais, je ne suis pas arrivé à mes opinions actuelles par la seule force de ma raison supérieure.
J'y suis en grande partie par accident aussi, par les rencontres, les lectures et c’est une pensée qui évolue.
Je cherche aussi à faire la critique de mes propres croyances.

Claude Lévi-Strauss disait que l’anthropologue doit apprendre à se voir comme un “sauvage parmi les autres”.
Penser contre soi-même, c’est exactement cela : devenir l’ethnologue de ses propres certitudes.
C’est se décentrer, se considérer soi-même comme un objet d’étude, replacer nos convictions dans le contexte qui les a rendues possibles.
Nous ne pensons pas dans le vide, nous pensons depuis quelque part.
Et cet “ailleurs intérieur”, souvent invisible, structure nos certitudes bien plus que nous ne le croyons.

Nathan Devers écrit que “penser, c’est se faire violence”. Penser contre soi-même, c’est refuser le confort de la cohérence narrative que nous construisons jour après jour.
C’est consentir à une forme de fissure intime — une petite dissonance dans le récit que nous faisons de nous-mêmes.
Parce que sans cette dissonance, il n’y a plus de pensée, seulement de l’opinion. Et l’opinion, dit Devers, est la forme molle de la croyance, celle qui ne se sait pas elle-même.

Gaspard Koenig, dans Voyage d’un philosophe au pays de la liberté, parle d’“apprendre à désobéir à soi-même”.
C’est une magnifique définition de la liberté de penser : désobéir à ses réflexes, à ses indignations automatiques, à son propre camp moral.
Dans un monde saturé d’idéologies émotionnelles, penser contre soi-même devient un acte de résistance lente, presque une hygiène mentale.
Penser librement, c’est ralentir assez pour entendre la dissonance entre ce qu’on croit et ce qu’on sait.

C’est aussi un geste profondément éthique. Car en pensant contre moi-même, je m'ouvre à l'altérité.
Je reconnais que tout être humain, même celui dont les idées me répugnent, incarne quelqu’un que j’aurais pu être dans d'autres circonstances.
Ce “fasciste” que je dénonce pourrait être moi si j’avais vécu ses traumatismes. Ce “gauchiste naïf” que vous méprisez peut être pourrait être vous si vous aviez partagé son parcours.

Simone Weil disait que “le détachement est la condition de la vérité”.
Penser contre soi-même, c’est précisément ce travail de détachement : se libérer de soi pour mieux comprendre le monde.
Et Montaigne l’avait déjà formulé à sa manière : “Je ne peins pas l’être, je peins le passage.” Autrement dit, penser, c’est accepter que le moi soit mouvant, contradictoire, et que la vérité ne se trouve jamais là où nous pensions la posséder.

Concrètement, comment pratiquer cette pensée contre soi-même ?

"Mais certaines positions ne méritent pas d'être entendues !" me direz-vous.
"Doit-on vraiment écouter les racistes, les platistes, les homophobes, les antisémites ?"
Justement, oui. Non pas pour leur donner raison, mais pour comprendre la logique interne qui les anime.
Car toute opinion, même la plus abjecte, contient une part de rationalité dans son propre système de valeurs.
Et c'est seulement en comprenant cette rationalité que nous pouvons espérer la démonter efficacement.

Prenons un exemple concret. Si vous êtes profondément favorable à l'immigration et que vous considérez toute restriction comme xénophobe, faites l'effort d'écouter — vraiment écouter — les préoccupations des personnes qui vivent dans des quartiers populaires où l'intégration pose de réels problèmes.
Ou simplement la peur des personnes qui n’ont pas vu un “étranger” autre part que dans les faits divers de CNews.
Inversement, si vous êtes farouchement opposé à l'immigration, essayez de comprendre sincèrement le point de vue humaniste qui considère l'accueil des réfugiés comme un devoir moral fondamental lié au passé colonial français et la nécessité démographique et économique d’intégrer des étrangers. (oui la balance économique de l’immigration est positive par ailleurs - j’en profite pour balancer un petit argument mais en même temps le lien envoie vers l’institut Montaigne, pas exactement un truc de gaucho ahahahahah).
Bref, si vous prenez ce temps, vous verrez que vous avez plus en commun que vous ne le pensiez initialement.

Dans les deux cas, vous découvrirez probablement que la réalité est plus nuancée que vos convictions initiales.

Cette approche ne garantit pas le consensus — certains désaccords sont irréductibles. Mais elle permet au moins un dialogue authentique, où chacun reconnaît l'humanité de l'autre et la complexité des questions en jeu.

Et c'est précisément ce type de dialogue dont nous avons besoin pour préserver notre démocratie.

Car la démocratie n'est pas un système qui promet la victoire définitive de nos idées. C'est un système qui garantit que le débat se poursuivra, que personne n'aura jamais le dernier mot, que la diversité des perspectives restera toujours possible.

En ce sens, défendre la démocratie, c'est accepter que nos adversaires politiques puissent avoir leur place dans l'espace public. C'est reconnaître que la pluralité des voix n'est pas un mal à éliminer, mais la condition même d'une société libre.

Cela ne signifie pas abandonner nos convictions. Cela signifie les tenir avec une certaine légèreté, une certaine ouverture à la remise en question. Cela signifie comprendre que nos identités politiques sont plus belles lorsqu'elles sont hybrides et fragiles plutôt que pures et rigides.

Conclusion : l'urgence d'une conversion démocratique

Nous arrivons à un moment critique où notre capacité à penser contre nous-mêmes déterminera largement l'avenir de nos démocraties.

L'alternative est claire : soit nous continuons sur la voie de la polarisation extrême, de la disqualification mutuelle et de la guerre culturelle permanente - et nous préparons ainsi le terrain à une forme ou une autre d'autoritarisme ; soit nous retrouvons le chemin du dialogue authentique, de l'humilité intellectuelle et de la reconnaissance mutuelle - et nous consolidons ainsi les fondements de notre vie démocratique.

Ce choix est d'abord individuel. Il commence par notre manière de consommer l'information, de discuter politique avec nos proches, de réagir sur les réseaux sociaux. Il se poursuit dans notre façon d'aborder les désaccords, d'écouter les arguments adverses, de remettre en question nos propres certitudes.

Concrètement, je vous propose quelques pratiques pour cultiver cette capacité à penser contre vous-même :

  1. Diversifiez radicalement vos sources d'informations. Si vous êtes de gauche, lisez régulièrement des médias de droite, et vice-versa. Faites l'effort de comprendre la logique interne de ces perspectives opposées. Je sais c’est dur mais c’est indispensable – de mon coté, je regarde des influenceurs d’extrême droite sur les réseaux pour comprendre la logique.

  2. Pratiquez la "steelmanning" (par opposition au "strawmanning"). les mots sont barbares mais en gros au lieu de caricaturer les arguments adverses pour mieux les réfuter, efforcez-vous de les reformuler dans leur version la plus forte, la plus convaincante possible.

  3. Cultivez des amitiés politiquement diverses. Rien ne remplace les discussions en personne avec des gens qui pensent différemment mais que vous respectez par ailleurs et ne fuyez pas la conversation. Appliquez une méthode d’écoute active plutôt.

  4. Adoptez la règle des "trois exemples contraires". Avant de généraliser sur un groupe ou une idéologie, trouvez au moins trois exemples qui contredisent votre généralisation.

  5. Pratiquez l'humilité épistémique. Habituez-vous à dire "je ne sais pas", "je pourrais me tromper", "c'est plus complexe que je ne le pensais initialement".

Ces pratiques ne rendront pas nos désaccords moins profonds, mais elles les rendront plus fructueux. Elles ne nous feront pas nécessairement changer d'avis, mais elles nous aideront à comprendre pourquoi des personnes raisonnables peuvent penser différemment.

Et surtout, elles nous rappelleront que par-delà nos différences idéologiques, nous partageons un intérêt commun fondamental : préserver cet espace démocratique où le désaccord lui-même est possible.

Car c'est bien là l'enjeu. Dans un monde de plus en plus tenté par les solutions autoritaires, la démocratie n'est pas acquise. Elle doit être défendue, jour après jour, par des citoyens conscients de sa fragilité et déterminés à la protéger - y compris, et peut-être surtout, avec ceux qui ne partagent pas leurs opinions politiques.

Le philosophe Karl Popper nous a mis en garde contre ce qu'il appelait le "paradoxe de la tolérance" : une tolérance illimitée mène nécessairement à la disparition de la tolérance. Autrement dit, nous ne pouvons pas tolérer l'intolérance absolue, celle qui vise à détruire le cadre même du débat démocratique.

Mais entre cette intolérance fondamentale et nos désaccords politiques habituels, aussi passionnés soient-ils, il y a un monde. Et c'est précisément ce monde intermédiaire, cet espace de désaccord civilisé, qu'il nous faut préserver à tout prix.

Alors oui, continuons à nous opposer sur les politiques migratoires, fiscales, sociales ou environnementales. Mais faisons-le en gardant toujours à l'esprit que notre adversaire d'aujourd'hui pourrait être notre allié de demain face à la menace autoritaire.

Comme l'écrivait Albert Camus : "La démocratie, ce n'est pas la loi de la majorité, mais la protection de la minorité."
Même et surtout quand cette minorité défend des idées qui nous déplaisent.

C'est à cette condition, et à cette condition seulement, que nous pourrons sauver notre démocratie. Ensemble, malgré nos différences. Ou peut-être même grâce à elles.

Cette semaine sur Vlan!

#366 Pourquoi votre bureau vous rend malade? avec Alexandre Dana

Youssef Badr est juge à Créteil, ancien porte-parole du ministère de la Justice, et auteur du livre Pour une justice aux mille visages. Je l’ai rencontré car c’est le frère de mon amie Requia.
Dans cet épisode, on a parlé de transclasse, de solitude, de l’école qui n’accueille pas tout le monde de la même manière, de racisme, et bien sûr, de justice.
Pas celle qu’on voit dans les séries, mais celle qu’on rend tous les jours, dans les tribunaux, face à des vies cabossées, souvent invisibles.
Ce qui m’a touché chez Youssef, c’est sa manière d’incarner ce métier avec exigence, mais aussi avec humanité. Il a traversé des chemins que beaucoup n’imaginent même pas. Et son livre, très fort, est un appel à une justice plus représentative, plus incarnée, plus équitable.

#62 l'I.A. bouleverse les fondements de la société

Frédéric Raillard est le cofondateur de l’agence créative internationale Fred & Farid, présente à Paris, Shanghai, Los Angeles et New York. Entrepreneur nomade et fin observateur des mutations culturelles, il a traversé plusieurs continents pour construire un modèle d’agence unique, adapté aux nouveaux enjeux du monde contemporain.

Dans cet épisode, je sors un peu des leaders centré sur le care et nous parlons de son parcours entrepreneurial, de ses expériences en Chine et aux États-Unis, mais surtout, de sa réflexion profonde sur l’intelligence artificielle et son impact sur les métiers créatifs.
J’ai questionné Frédéric sur les différences culturelles entre la Chine, les États-Unis et l’Europe, son modèle d’agence « accordéon », sa gestion des équipes en mode freelance, mais aussi sur sa vision de l’IA, entre enthousiasme technologique et crainte existentielle.

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Des liens tout à fait incroyables

  1.  La conflictualité est le moteur de la démocratie
    Je suis tombé sur cet article après avoir écrit ma newsletter mais je me suis dis que ca serait vraiment dommage de ne pas le partager ici même si ca peut paraitre redondant avec ma newsletter.
    Il s’agit d’un article écrit par un docteur en sciences politiques qui amène encore un point de vue lègerement différent du mien.

  2. La réinvention des médias à l’heure de l’I.A.

    Notre attention est limitée vous le savez mais à l’heure ou les reseaux sociaux sont envahis de contenus créént par des I.A. et conçus pour plaire à votre cerveau, comment faire pour resister?
    Comment des médias rééls comme Vlan! peuvent resister?
    Comment vous donner envie de ne pas perdre votre temps à voir des contenus qui ne sont pas vrais?
    C’est déjà un enjeu mais cela va s’accentuer dans les années à venir.

  3. La Bretagne un futur refuge climatique?

    Lié à l’épisode de la semaine dernière, je pense que beaucoup d’entre vous se sont posés la question de bouger en Bretagne. Pourtant ce n’est pas si simple bien sur - on aimerait mais non.
    La Bretagne c’est grand et cette analyse rentre dans de détail de cette région aux vérités multiples.
    Ce n’est pas aussi simple qu’on aimerait que ca soit le cas.

Je me limiterais toujours à 3 liens donc voilà c’est tout pour cette semaine (sachant que Vlan! La newsletter C’est bimensuel comme Vlan! Leadership), n’hésitez pas à me faire des retours et à partager la newsletter à vos amis, collègues, connaissances si vous la trouvez pertinente. Il y a un bouton juste en dessous !

Vlan!

Vlan!

Par gregory pouy

Je suis Grégory Pouy, un passionné des liens humains et des transformations qui façonnent notre société. Après des années dans le monde de la transformation digitale, j’ai décidé de prendre un autre chemin : celui de la réflexion, de l’authenticité et de la nuance.

Je suis profondément convaincu que dans un monde qui va toujours plus vite, prendre le temps de comprendre est une force.

À travers mon podcast, mes écrits, mes conférences et mes accompagnements et désormais cette newsletter je cherche à donner des clés pour mieux appréhender le monde, avec lucidité et bienveillance afind d’être plus serei dans un monde instable.

Ce qui me motive, c’est d’aider chacun à poser un regard différent sur la vie, à s’interroger sur ce qui compte vraiment, et à nourrir des liens profonds et sincères. Je ne prétends pas avoir toutes les réponses, mais je pose les bonnes questions – celles qui permettent d’avancer avec plus de clarté et de conscience

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