La joie rebelle : pourquoi sourire en temps de chaos

Quand je dis que je regarde demain avec beaucoup de joie, j'obtiens souvent des regards incrédules. Comment peut-on être joyeux face au changement climatique qui s'accélère, à la "mort" de la DEI (diversité, équité, inclusion) aux États-Unis, à l'emprise grandissante de l'extrême droite en Europe, au triomphe de l'anti-intellectualisme ?

Vlan!
8 min ⋅ 09/02/2025

Le grand basculement : nous sommes dans l'entre-deux mondes

Depuis les années 1980, le sociologue Michel Maffesoli nous alerte : nous vivons une transformation aussi profonde que le passage du Moyen Âge à la Renaissance. La modernité née avec les lumières - et tout son système de valeurs et de croyances - est en train de mourir.
"Une étoile morte éclaire pendant longtemps encore avant de disparaître intégralement",
m'a-t-il expliqué quand je l'interrogeais sur la lenteur de cette transformation.

Pour filer la métaphore de l’étoile, je crois que ce que nous vivons actuellement ressemble à l'explosion finale de cette étoile mourante – Une explosion, un dernier éclat spectaculaire avant l'extinction.
Les Trump, Musk, Zuckerberg et leurs semblables en sont les ultimes ambassadeurs, brandissant désespérément les valeurs d'un monde déjà révolu :

  • L'individualisme triomphant

  • Le succès mesuré à l'accumulation (argent, notoriété, biens)

  • La toute-puissance de la rationalité et de l'analyse (ce besoin de tout découper en morceaux pour tout expliquer)

  • La croyance aveugle dans le progrès linéaire (notamment le techno-solutionnisme)

  • La sacralisation des grandes institutions comme garantes de l'ordre social

Nous vivons tous plus ou moins dans ce monde dans lequel nous sommes nés et qui régit encore, de manière tacite, nos modes de fonctionnement.

Les contours du monde qui vient

Maffesoli appelle timidement cette nouvelle ère la "post-modernité" car elle n’a pas encore vraiment de nom (elle sera défini par les historiens dans quelques centaines d’années).

Ce qui est évident c’est qu’on la sent très fort et qu’elle se dessine autour de 6 grandes mutations :

1.    Le retour au tribalisme : l'émergence de petites communautés affectives et identitaires

2.    La réhabilitation de la sensibilité et de l'émotion : la raison n'est plus l'unique boussole

3.    La valorisation du présent : la fin de la dictature du projet et de la projection perpétuelle

4.    Le triomphe du nomadisme : la fluidité remplace la stabilité, y compris dans nos identités

5.    La réinvention du sacré : de nouveaux rituels contemporains émergent

6.    La vision holistique : afin de prendre en considération la complexité du monde et de sortir de l’analyse pure

Je suis certain que vous pouvez ressentir ce monde qui vient doucement.
Par essence, ce moment, cette croisée des chemins entre 2 moments, nous amène a beaucoup de contradictions internes d’ailleurs.
Parfois je suis surpris de voir des personnes qui sont encore à 200% dans ce monde déjà mort mais je ne juge pas, j’y étais encore il y a quelques années et je sais que c’est un chemin à faire.
D’ailleurs, je suis encore partiellement là moi aussi bien entendu.
C’est passionnant à observer par ailleurs.

L'âge des turbulences

Évidemment, la modernité ne s'éteint pas sans combattre.

Elle montre même son visage le plus terrible, avec une violence inédite. On parle souvent du "retour de la force brute" en évoquant le masculinisme agressif des Zuckerberg, Bezos, Musk ou Trump.

Je regarde à nouveau actuellement "The Handmaid's Tale" (la servante écarlate), 8 ans après et les parallèles avec notre présent sont troublants : rejet des personnes LGBTQ+, chute de la natalité (on en parle bientôt sur Vlan ! et qui sera je pense accélérée par les microplastiques dans nos organismes), montée des fondamentalismes.

Non, nous n'en arriverons probablement pas dans la dystopie de la série, mais ces échos sont édifiants et on voit ici et là des choses qui résonnent – en particulier, j’ai vu des fondamentalistes forcer des femmes à donner leurs enfants.

Je pense que cette période va durer un petit moment, sans doute 10 ou 15 ans mais vous allez voir pourquoi je vous parle de joie !

De l'optimisme forcené à l'optimisme lucide

Les discussions avec des experts en géopolitique comme Luis Amado (ancien ministre des Affaires Étrangères portugais) que j’ai eu la chance de recevoir chez moi ou Pierre Haski, qui sera bientôt sur Vlan !, m'ont fait évoluer d'un optimisme parfois naïf vers ce que j'appelle un "optimisme-réaliste", certains parlent d’optimalisme.

Je ne vais pas vous raconter n’importe quoi pour vous faire plaisir, la période qui s'ouvre est complexe.
Il ne s'agit pas de rejoindre Harari qui évoque une potentielle 3ème guerre mondiale, mais d'accepter que certains combats aillent, probablement mais temporairement, dans le sens inverse de l'histoire.
Féminisme, démocratie, égalité, racisme, respect des droits de l’Homme…

Pour ceux qui en ont envie et qui se sentent déjà dans cette «postmodernité »,  ce temps doit nous servir à dépasser nos différences, à nous serrer les coudes autour de ce qui nous rassemble.
Arrêter de critiquer ceux qui ne sont pas parfaits, arrêter de parler des risques mais construire un programme qui donne envie comme le propose Arthur Auboeuf : se concentrer sur le bonheur et réaliser que cette utopie est aussi écologique.
Bien sûr, comme vous, je suis choqué à chaque fois que le monde bascule un peu plus dans l’horreur des excès de la modernité mais nous n’allons pas pouvoir y échapper donc utilisons notre énergie pour construire demain.
Je vous l’ai dit : optimisme mais réaliste.

La joie comme acte de résistance

C'est ici qu'intervient la joie dont je parle (enfin oui je sais ça aura pris un moment à venir).

Comme l'expliquait Camus dans "L'Homme révolté" (1951), la révolte, même ancrée dans la souffrance, procure une forme de joie existentielle. Le bonheur n'est pas le but du combat mais réside dans l'acte même de résister.

Le "Programme du Conseil National de la Résistance" pendant la seconde guerre mondiale n'était pas appelé par hasard "Les jours heureux".
Il illustrait cette idée que le combat collectif - même dans les heures les plus sombres - porte en lui une forme de bonheur partagé.
C’est intéressant de lire des auteurs de cette période.
René Char est l’exemple parfait de cette joie dans la résistance et la création d’un nouvel espoir.
Se battre, c’est refuser l’absurde, c’est affirmer la liberté contre l’oppression et c’est d’ailleurs de cette période qu’est tirée cette citation de René Char que nous utilisons tous : « Impose ta chance, serre ton bonheur et va vers ton risque. À te regarder, ils s’habitueront. ».
Le combat même s’il est dur est une source de fierté et de joie car il redonne du sens à l’existence.
Agir sur le monde c’est déjà une source de bonheur d’ailleurs (Charles Pepin –
la confiance en soi)

Un de mes auteurs favoris, le psychologue Viktor Frankl, enfermé dans les camps nous explique peu ou prou la même chose dans son ouvrage « Man search for meaning » et il va même plus loin puisque toute sa théorie se fait autour du « sens ».
Lui explique qu’il a survécu aux camps car le sens ultime était son amour pour sa femme, son désir de finir un travail psychologique et surtout son engagement à témoigner de ce qu’il voyait.
Il observe que dans les camps de concentration, ceux qui avaient un but, une mission à accomplir après la guerre, ou même une simple raison de survivre résistaient mieux psychologiquement.

Ainsi, lutter n’est pas seulement une action extérieure mais aussi une transformation intérieure.
Il observe que même dans l’horreur, certains détenus trouvaient du sens en aidant les autres, en récitant de la poésie, en trouvant des petites victoires sur la déshumanisation.

Finalement Frankl insistait sur le fait que, même dans des conditions extrêmes, l’humain garde une liberté fondamentale : celle de choisir son attitude face à l’adversité.
Comme Gramsci, il nous dit que l’optimisme de la volonté permet de surmonter le pessimisme de la réalité.

La joie est déjà là

Cette période de contraintes nous permet paradoxalement de redécouvrir l'essentiel. Comme l'écrivait Nietzsche : "Ce qui ne me tue pas me rend plus fort."

La difficulté forge non seulement notre résilience mais aussi notre capacité à apprécier les petites victoires, les moments de solidarité, la beauté des choses simples.

Ma joie n'est donc pas celle d'un optimiste qui nie la réalité.
C'est la joie lucide de celui qui voit dans la tempête actuelle non pas la fin du monde, mais la fin d'un monde.

Et dans cette transformation douloureuse mais nécessaire, je trouve une raison profonde d'espérer car je sais que l’histoire nous donnera raison.

Le réconfort comme acte de résistance

Il se trouve que je viens de partager sur Vlan ! une conversation incroyable avec Marie Robert.
 Elle développe dans son livre une idée qui résonne profondément avec notre époque : le réconfort n'est pas un repli douillet mais une nécessité vitale, presque un acte politique.

"On a tous et toutes un chagrin à raconter", dit-elle.

Cette vérité universelle prend une résonance particulière dans notre monde hypernumérisé où les algorithmes nous abreuvent de catastrophes en continu, nous laissant paralysés devant nos écrans, incapables d'agir.

Le réconfort dont parle Marie Robert n'est pas celui du plaid et du thé chaud (quoique en février on aime l’idée...). C'est avant tout une invitation à "retrouver le courage d'agir".

Dans un monde qui nous pousse à l'individualisme et à la paralysie, se réconforter devient un acte de résistance.

Comment ? En réapprenant à lever la tête.
Littéralement. Sortir le nez de nos écrans pour croiser le regard des autres, pour redécouvrir l'émerveillement.
Ce n'est pas un hasard si ce monde anxiogène nous pousse à baisser les yeux - regarder l'autre, c'est déjà commencer à retisser du lien.

Il y a une forme d'audace, aujourd'hui, à oser la disponibilité.
À ne pas optimiser chaque seconde de notre temps, à accepter ce que Trevor Noah appelle le "liming" : simplement être là, avec d'autres, sans autre but que d'être présent. Cela fait aussi écho à l’otium dont j’ai tant parlé ici.

Cette disponibilité est le terreau du réconfort.
Elle nous permet de renouer avec ce qui nous nourrit vraiment : l'amitié vraie (celle où l'on peut déposer son chagrin sans attendre de solution), le rire partagé (qui devient de plus en plus rare à mesure qu'on vieillit), l'émerveillement devant la beauté (même celle d'un simple trombone, comme le raconte une petite fille à Marie).

Alors oui, je maintiens ma joie face à ce monde qui change.

Mais j'y ajoute cette dimension essentielle du réconfort comme acte politique. Dans une société qui nous pousse à la performance et à l'urgence permanente, oser prendre le temps de se réconforter - et de réconforter les autres - devient un acte révolutionnaire.

Ce n'est pas un hasard si les pouvoirs autoritaires commencent toujours par isoler les individus.

À l'inverse, tisser des liens de réconfort, c'est déjà commencer à résister.
C'est peut-être même la première étape pour retrouver ce courage d'agir dont nous avons tant besoin.

Les dirigeants consacrent la majeure partie de leur temps aux questions opérationnelles, alors même que les temps incertains exigent une vision stratégique renforcée.
Avec des rythmes variés (hebdomadaire, mensuelle, bi mensuelle), j'accompagne les équipes dirigeantes à comprendre les tendances émergentes, la compréhension des transformations sociétales ainsi que les innovations de ruptures qui redéfinissent les valeurs et comportements de leurs collaborateurs et clients mais aussi qui permettent d’anticiper et de s’adapter aux évolutions de marché.
Je me sers de toute ma connaissance pour leur donner une vision holistique et accélérer leur connaissance afin qu’ils puissent renforcer leur vision.
Si jamais cela résonne pour vous, n’hésitez pas à m’envoyer un message :)


Cette semaine sur Vlan! & Ping!

Sur Vlan
#337 Le piège de l’empathie avec Samah Karaki

Quand j’ai rencontré Samah, neuroscientifique, pour la 1ère fois il y a 3 ans à travers ma copine Ella, elle n’était passée sur presque aucun podcast, depuis sa pertinence, sa capacité d’expliquer l’ont mis sous les projecteurs de tous les plateaux TV et podcasts français. J’admire beaucoup Samah, vous l’aurez compris et nous avons un lien particulier depuis notre rencontre. Cet épisode est très puissant, vous allez l’adorer!
Samah nous invite à déconstruire notre vision de l’empathie, souvent perçue comme un trait universel et positif. Pourtant, nous n’éprouvons pas tous la même empathie pour tout le monde, et ce biais est largement influencé par notre culture, les médias et les dynamiques de pouvoir.

Sur Ping
#51 Comment négocier avec son CODIR ? Avec Laurent Combalbert

Episode tout à fait exceptionnel avec Laurent Combalbert qui a mis en place la négocation au GIGN, qui a été formé au FBI et à qui je pose des questions concrêtes qui je sais vont totalement résonner avec vos besoins.
Car comme je l’ai écrit dans la Harvard Business Review, beaucoup de directeur de la transformation/DRH finissent par jeter l’éponge devant le refus d’obstacle plus ou moins conscient de leur CODIR ou du Directeur Général.
Dans cet épisode, nous parlons de leadership, gestion des émotions et persuasion, des compétences clés pour naviguer dans un monde de plus en plus incertain. Laurent partage ses expériences de négociation en milieu extrême et ses méthodes pour convaincre même les plus réfractaires au changement.

Si vous vous demandez comment sensibiliser les équipes avec du qualité de contenu, je propose désormais le catalogue de Vlan! et Ping! pour animer votre Intranet.
400+ épisodes dans lesquels vous pouvez piocher avec des introductions afin que le contenu soit réapproprier à votre marque.

DES LIENS TOUT À FAIT INCROYABLES!

  1. Les réseaux sociaux sont devenus des usines à indignation mais…

    Une interview de la neuroscientifique Molly Crockett qui explique que les réseaux sociaux exploitent un mécanisme de récompense neurologique lié à l’indignation : chaque réaction de colère entraîne une libération de dopamine, incitant à partager et commenter davantage. Les algorithmes amplifient ce phénomène en favorisant les contenus polarisants, créant un cycle addictif qui alimente la division sociale. Ce mécanisme a influencé des événements politiques majeurs, comme la réélection de Trump en 2024. La fin du fact-checking sur Facebook et les restrictions d’accès aux données sur X aggravent encore la situation.
    Ne nous laissons pas piéger à dépenser notre énergie dans l’indignation stérile, inventons demain plutôt.

  2. Comment Le ressentiment envers les élites bouillonne

    Le Baromètre Edelman 2025 révèle une montée du ressentiment envers les élites et les institutions, avec 60 % des personnes exprimant des griefs économiques.
    Quatre répondants sur dix considèrent les actions hostiles (Luis Amado m’a parlé d’une possibilité de révolution), y compris la violence, comme des moyens acceptables pour provoquer le changement, un chiffre atteignant 53 % chez les 18-34 ans. Cette tendance reflète une méfiance croissante envers les gouvernements et les entreprises, perçus comme servant les intérêts des plus riches. Pour inverser cette dynamique, une collaboration interinstitutionnelle est nécessaire pour aborder des enjeux tels que l'intégrité de l'information, l'accessibilité financière, la durabilité et l'avenir de l'IA

  3. Non le marathon n’a pas été inventé en Grèce

    Parce qu’on est tous féru de petits faits comme ça et parce que vous (pas moi) êtes de plus en plus à courir, je me suis dis que cette news plus légère et super intéressante vous ferait sourire et parler à la machine à café :)
    et puis Cocorico quand même, enfin vous verrez bien toute l’histoire hyper bien expliqué dans le National Geographic.

Je me limiterais toujours à 3 liens donc voilà c’est tout pour cette semaine (sachant que Hop! C’est bimensuel comme Ping!), n’hésitez pas à me faire des retours et à partager la newsletter à vos amis, collègues, connaissances si vous la trouvez pertinente. Il y a un bouton juste en dessous !

Vlan!

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Par gregory pouy

Je suis Grégory Pouy, un passionné des liens humains et des transformations qui façonnent notre société. Après des années dans le monde de la transformation digitale, j’ai décidé de prendre un autre chemin : celui de la réflexion, de l’authenticité et de la nuance.

Je suis profondément convaincu que dans un monde qui va toujours plus vite, prendre le temps de comprendre est une force.

À travers mon podcast, mes écrits, mes conférences et mes accompagnements et désormais cette newsletter je cherche à donner des clés pour mieux appréhender le monde, avec lucidité et bienveillance afind d’être plus serei dans un monde instable.

Ce qui me motive, c’est d’aider chacun à poser un regard différent sur la vie, à s’interroger sur ce qui compte vraiment, et à nourrir des liens profonds et sincères. Je ne prétends pas avoir toutes les réponses, mais je pose les bonnes questions – celles qui permettent d’avancer avec plus de clarté et de conscience

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