Vous est-il déjà arrivé de quitter une conversation avec l'impression de sortir d'un champ de bataille plutôt que d'avoir traversé un pont ? Vous n'êtes pas seul. Et si ces moments de tension n'étaient pas des échecs, mais des portes qui s'ouvrent ? Cette semaine j'ai décidé d'explorer avec vous l'art subtil du désaccord fécond.
Quand avez-vous changé d'avis pour la dernière fois sur quelque chose d'important ?
Pas sur le choix d'un restaurant ou la couleur d'un mur, mais sur une conviction profonde qui structure votre vision du monde ? Sur votre rapport à l'argent, à la famille, au travail voire sur des questions politiques ou géopolitiques ? Peut-être sur un élément qui définit votre identité ?
Pourtant nous devons tous faire face à des contradicteurs dans nos familles, nos amis, nos collègues, parfois sur les réseaux et on ne peut pas « cancel » toutes les personnes qui ne pensent pas comme nous …alors on fait quoi ?
Si vous peinez à vous souvenir, bienvenue dans le club des certitudes fossilisées.
Nous vivons dans une époque où nos certitudes se figent dans des bulles de filtres sur les réseaux sociaux, où la complexité est sacrifiée sur l'autel de la simplicité.
Résultat : nous sommes devenus des forteresses intellectuelles, imprenables mais stériles, confortable dans nos croyances mais aveugles aux différentes réalités qui composent notre monde.
Et pourtant, Brian Cox, le physicien, l'affirme sans détour : "Les scientifiques sont heureux quand ils réalisent qu'ils ont tort. Et c'est sans doute l'une des caractéristiques les plus intéressantes qu'amène la culture scientifique. Il y a trop de personnes aujourd'hui qui cherchent à avoir raison et trop peu qui cherchent à savoir."
L’ironie de cette phrase, c’est qu’elle nous fait nous dire « mais oui c’est tout à fait ça » alors qu’elle devrait nous faire l’effet d’une gifle.
Elle révèle ce qui nous manque cruellement aujourd'hui : la joie de découvrir nos erreurs, l'excitation de voir nos certitudes s'effriter pour laisser place à une compréhension plus riche.
Car généralement quand nous lisons cette phrase, nous pensons en priorité aux personnes qui ne pensent pas comme nous.
En réalité, nous avons oublié que l'erreur n'est pas l'ennemi de la vérité, mais son plus fidèle compagnon de route.
Et d’ailleurs, la racine latine de « conversation » signifie « vivre avec », elle exprime un mouvement sur une route à deux ; il ne s’agit pas seulement d’échanger des mots.
A noter que si vous trouvez mon travail utile, je vous offre la possibilité de me soutenir car 80% de mon travail est offert mais que j’ai aussi une réalité économique.
L’équivalent d’un café pour vous mais pour moi, cela peut me permettre de continuer à produire.
Je l'avoue sans honte : je déteste le conflit. Je l'évite, je le contourne, je le neutralise avec l'agilité d'un diplomate en terrain miné et en réalité, je prends toujours trop sur moi dans ces conditions.
Bien sûr, j'aime argumenter, débattre même, mais dès que ça chauffe, je bats en retraite. Et d’ailleurs, chaque fois qu'on me suggère d'inviter sur mon podcast quelqu'un avec qui je suis en profond désaccord, je refuse généralement.
Officiellement, je ne veux pas "lui donner de la lumière".
Officieusement ? J'ai peur de ne pas être à la hauteur du défi. Peur de ne pas poser les bonnes questions, de ne pas challenger suffisamment leurs arguments, de laisser passer des incohérences par politesse.
D’ailleurs, je trouve que je ne challenge pas assez mes invités parfois. C'est vrai sur mon podcast, mais c'est vrai plus généralement dans mes relations.
Cette dualité entre nos aspirations et nos actions me fascine.
N'est-il pas troublant de voir comment nous pouvons proclamer notre quête de vérité le matin, puis fuir ses contradictions le soir venu ?
Notre cerveau, cette machine à confort, préfère les certitudes douillettes aux vérités qui dérangent.
Et pourtant, nous voilà à déplorer la polarisation de notre société, tout en construisant soigneusement nos propres îlots de réconfort intellectuel.
J’essaie de rester le plus ouvert possible et sur Vlan !, je tente justement l'approche inverse : plonger dans les conversations longues, inviter les meilleurs experts même quand leurs idées bousculent, et rester ouverte à l'évolution de mes perspectives.
Alors j’avoue… pas sur mes convictions fondamentales, vous l’aurez compris, mais sur ces zones grises où se cache souvent la nuance.
N'est-ce pas là que réside la véritable croissance ?
Car c'est bien de cela qu'il s'agit : nous avons perdu l'art du désaccord constructif. Nous confondons débattre et se battre, questionner et attaquer, évoluer et trahir.
Dans notre société hyper-polarisée, où nos arguments se construisent à base de vidéos de 2 minutes ou un mème peut résumer toute une position politique, nous avons oublié que la complexité était la norme, pas l'exception.
Nous sommes enfermés dans des bulles de filtres sans le savoir, ce qui veut dire que nous ne sommes confrontés sur les réseaux qu'avec des avis qui vont dans notre sens, et nous sélectionnons nos amis en fonction de leurs croyances et valeurs également.
Quand nous sommes touchés par un avis différent sur les réseaux, il est souvent radical et cela nous conforte un peu plus dans notre position.
Ce qui en ressort, c'est que nous avons oublié comment nous écouter, comment nous engager de manière constructive dans un désaccord.
Alors que même si le désaccord est inconfortable voire menaçant, apprendre à le gérer efficacement est crucial.
"La marque d'une grande vérité est que son contraire est également vrai." Cette phrase, évoquée par l'autrice et scénariste Taiye Selasi lors d’un événément organisé chez moi sur ce sujet précis, devrait être gravée dans le marbre de notre époque.
Elle capture parfaitement ce qui fait défaut dans notre façon d'aborder les désaccords : l'humilité intellectuelle.
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