De quoi pouvons-nous vraiment être fiers ?

Il y a des questions qui nous rattrapent toujours en fin d'année, comme des échos persistants de nos choix de vie. La fierté en fait partie. De quoi sommes-nous le plus fiers ? La réponse évidente - carrière, réussites, enfants - masque souvent une vérité plus subtile que j'ai redécouverte lors d'une conversation improbable, la veille de Noël.

Vlan!
6 min ⋅ 29/12/2024

C'était dans un café parisien (au Compagnon pour ceux qui me connaissent), avec un visage familier que je n'avais pas croisé depuis des années.

À peine assis, il me fixe intensément : "Tu as eu un impact très fort dans ma vie mais tu ne le sais pas". J'avoue avoir eu un moment de flottement. Comment aurais-je pu marquer profondément la vie de quelqu'un que je n’ai pas vu depuis si longtemps ?

Et puis il déroule le fil : 2009, un simple tweet, une offre d'emploi partagée presque machinalement et un profil appuyé à mon ami qui recrute.
Un petit geste, comme on en fait des dizaines par jour, sans jamais vraiment mesurer leur portée.
Pour lui, ce fut le début d'une cascade d'événements : un poste décroché, des connaissances assimilées qui lui ont permis de lancer une agence, beaucoup d’huile de coude plus tard, vingt millions de chiffre d'affaires et une revente à plusieurs millions.

Mais ce qui m'a le plus touché dans son histoire, ce n'est pas tant la réussite financière que ce qu'il en a fait. Pas de villa démesurée ni de voiture clinquante. Non, il n’a même pas changé d’appartement et il a choisi une voie plus subtile : utiliser sa liberté nouvelle pour faire bouger les lignes sur des sujets essentiels - droits des femmes, discriminations, écologie. Transformer un succès personnel en levier de changement collectif.
Il finance des films, des séries, des médias qui changent les imaginaires.

Cette conversation m'a fait repenser à ce que disait Abd Al Malik sur Vlan! : "Quand tu touches une âme alors tu as réussi". C'est peut-être là que réside la vraie fierté : non pas dans nos accomplissements personnels, mais dans ces petits gestes qui, sans qu'on le sache, déclenchent des ondes de transformation chez les autres.
C’est d’ailleurs cet ami qui m’a dit d’en faire un sujet sur ma newsletter mais la réalité c’est que mon action était infinitésimale dans son action.

La science a un nom pour cela que vous connaissez nécessairement : l'effet papillon. Cette théorie semble presque sortie d'un conte philosophique.
Mais elle trouve ses racines dans les travaux du mathématicien français Henri Poincaré, qui fut l'un des premiers à comprendre que des systèmes apparemment simples pouvaient engendrer des comportements d'une complexité vertigineuse.

Mais c'est Edward Lorenz, un météorologue du MIT, qui donna à cette idée sa forme la plus poétique dans les années 60 : "Le battement d'ailes d'un papillon au Brésil peut-il provoquer une tornade au Texas ?" Cette question, qui paraît presque fantasque, est née d'une découverte fortuite.
En analysant des modèles météorologiques, Lorenz remarqua qu'une infime variation dans les données initiales - équivalente au souffle d'un papillon - pouvait complètement transformer les prévisions à long terme.

Ce qui est fascinant dans cette théorie, c'est qu'elle bouleverse notre conception traditionnelle de la causalité. Dans notre vision quotidienne du monde, nous imaginons souvent que les grands effets ont nécessairement de grandes causes.
Un peu comme si nous pensions qu'une avalanche ne pouvait être déclenchée que par une explosion.
Mais la réalité est plus subtile : parfois, c'est le simple crissement d'un ski qui fait basculer tout un pan de montagne.

Les systèmes chaotiques, comme les appellent les scientifiques, ont cette particularité déroutante : ils sont à la fois déterministes (ils suivent des règles précises) et imprévisibles.
C'est un peu comme si le monde était une immense partie de billard où chaque coup, aussi précis soit-il, engendrait des ricochets impossibles à anticiper.

Edgar Morin, dans sa théorie de la complexité, va encore plus loin. Il nous invite à voir le monde non pas comme une machine bien huilée, mais comme un tissu d'interactions où tout est lié de manière souvent invisible.
Dans "La Méthode", il développe cette idée fascinante : nos actions ne sont jamais isolées, elles s'inscrivent dans des réseaux d'influence qui dépassent largement notre compréhension immédiate.

Cette vision complexe du monde a des implications profondes sur la façon dont nous devrions penser nos actions quotidiennes.
Si le moindre de nos gestes peut avoir des répercussions inattendues, alors peut-être devrions-nous porter une attention particulière à ces "micro-actions" que nous considérons souvent comme insignifiantes : un message de soutien envoyé tard le soir, un conseil donné en passant, une opportunité partagée sans y penser.

Je repense à cette étude fascinante de Nicholas Christakis et James Fowler qui ont démontré que nos actions peuvent influencer des personnes jusqu'à trois degrés de séparation. C'est-à-dire que lorsque nous posons un acte positif, son influence peut se propager jusqu'aux amis des amis de nos amis.
Comme des ondulations à la surface d'un étang, nos actions créent des cercles concentriques d'influence dont nous ne verrons peut-être jamais les rivages les plus lointains.

Cette cascade d'impacts me fait penser à l'histoire remarquable de Yang Yuanging, le PDG de Lenovo.
En 2012, face à un bonus personnel de 3 millions de dollars, il a pris une décision qui allait bien au-delà d'un simple geste de générosité : il a choisi de redistribuer l'intégralité de cette somme aux 10 000 employés "du bas de l'échelle" de son entreprise.
Plus impressionnant encore, il a renouvelé ce geste les années suivantes.

À première vue, on pourrait voir cela comme un simple partage de richesses.
Mais en y regardant de plus près, c'est un parfait exemple d'effet papillon en action dans le monde de l'entreprise.
Chacun de ces employés a reçu une somme qui, bien que modeste à l'échelle du bonus initial, a pu déclencher sa propre cascade d'événements : des dettes remboursées, des études financées, des projets lancés, des vies transformées.

Ce qui rend cette histoire particulièrement puissante, c'est qu'elle ne s'est pas arrêtée aux frontières de Lenovo. Le geste de Yang est devenu un symbole, une source d'inspiration pour d'autres dirigeants, un modèle de leadership qui continue de faire des émules. Il illustre parfaitement comment une décision individuelle, prise à un moment précis, peut créer des ondes de changement qui se propagent bien au-delà de leur point d'origine.

C'est peut-être là que réside la plus grande leçon de l'effet papillon : dans l'invitation à considérer chaque interaction, aussi minime soit-elle, comme porteuse d'un potentiel de transformation.
Non pas pour nous paralyser - car après tout, nous ne pouvons pas prévoir les conséquences de chacun de nos actes - mais pour nous rappeler que même les plus petits gestes peuvent être des graines de changement.

Alors que nous entrons dans cette nouvelle année, peut-être est-il temps de redéfinir la fierté.
Non pas comme une médaille qu'on épingle à sa poitrine, mais comme ces petits actes quotidiens qui, tels des battements d'ailes, peuvent déclencher des tempêtes de changement positif.

De cela, oui, nous pouvons être fiers.

Je vous souhaite de bien terminer cette année et d’être fiers de vos petits gestes du quotidien.

Excellente année même si je suis un peu en avance je l’avoue.

PS : je profite de cette newsletter pour présenter mes excuses pour le jugement trop rapide que j’ai fait dans ma newsletter précédente concernant les mariages en Inde. J’ai vérifié ce que j’écrivais bien sur mais je ne suis pas allé au bout de la démarche car clairement il y a une dimension culturelle et un patriarcat plus fort que je n’ai pas intégré. Cela a perturbé plusieurs personnes qui me l’ont gentiment fait remarquer donc pour toutes celles qui l’ont pensé sans le dire, je m’excuse ici

Cette semaine sur Vlan! & Ping!

Je profite d’être dans une période estivale pour vous parler un peu de mes podcasts ici mais sans parler d’un épisode en particulier.
D’abord pour dire que j’ai vraiment décidé de chercher des partenaires financiers car travailler gratuitement ce n’est pas reconnaître la valeur de mon travail d’abord mais aussi c’est mettre de la pression involontairement sur les personnes qui m’accompagnent dans cette mission.
Aussi, j’ai décidé que j’allais passer beaucoup plus en vidéo sur Vlan! même si c’est déjà le cas sur Ping!
Enfin, j’ai réalisé à l’occasion d’une conversation que le mouvement entre Vlan! et Ping! n’avait pas été très bien compris.
Je le rééxplique ici donc:
Vlan! est un podcast sur l’évolution de la société à travers duquel j’essaie d’aider chacun à être plus serein en comprenant le monde qui est en train de changer.
Ping! c’est quasi le pendant pour les entreprises, j’y parle de leadership conscient car je suis convaincu que les entreprises ont un rôle majeur à jouer dans la transformation et parce que je pense que c’est une manière de regarder le monde.
Ors, je suis convaincu qu’il est indispensable, quand on parle de concept, de montrer des personnes qui le mettent en place et qui ont été couronnée de succès en le faisant.
Dès lors, ce sont les 2 cotés de la même pièce et en tout cas, une manière pour moi de m’inscrire dans le monde.

DES LIENS TOUT À FAIT INCROYABLES!

  1. Les smartphones mettent-ils nos conversations en péril?

    Vous l’avez sans doute remarqué pendant les fêtes, nous sommes tous et toutes sur nos téléphones en permanence et par voie de conséquence on se parle moins : dans les lieux publics, dans les cafés mais aussi tout simplement dans nos foyers. Cette professeur d’anthropologie se penche sur le sujet ici.

  2. Comment Mr Beast le youtubeur le plus suivi au monde réinvente le divertissement

    On pense ce que l’on veut des influenceurs mais ils ont un impact sur notre société qui dépasse très largement l’anecdocte. Il est essentiel de se pencher sur le phénomène et de le regarder en face. Finalement mon article pour la fondation Jean Jaurès était presque trop timide quand je vois les titres de the Atlantic sur le même sujet. Cet article sur Mr Beast et la manière dont il a grandit son audience est également passionnant.

  3. C’est quoi l’hypersensibilité?

    Je me considère comme très sensible et cet article m’a beaucoup parlé nécessairement.
    On utilise facilement le terme d’hypersensibilité mais qu’est ce que cela recouvre exactement?
    C’est ce que couvre cet article qui nous explique que cela ne couvre que 15 à 30% de la population.
    Les personnes hautement sensibles présentent une activité cérébrale accrue dans les zones associées à l'empathie et à la conscience, ce qui les rend plus réceptives aux émotions et aux subtilités de leur environnement mais je vous laisse découvrir la suite dans l’article.

Je me limiterais toujours à 3 liens donc voilà c’est tout pour cette semaine (sachant que Hop! C’est bimensuel comme Ping!), n’hésitez pas à me faire des retours et à partager la newsletter à vos amis, collègues, connaissances si vous la trouvez pertinente. Il y a un bouton juste en dessous !

Vlan!

Vlan!

Par gregory pouy

Je suis Grégory Pouy, un passionné des liens humains et des transformations qui façonnent notre société. Après des années dans le monde de la transformation digitale, j’ai décidé de prendre un autre chemin : celui de la réflexion, de l’authenticité et de la nuance.

Je suis profondément convaincu que dans un monde qui va toujours plus vite, prendre le temps de comprendre est une force.

À travers mon podcast, mes écrits, mes conférences et mes accompagnements et désormais cette newsletter je cherche à donner des clés pour mieux appréhender le monde, avec lucidité et bienveillance afind d’être plus serei dans un monde instable.

Ce qui me motive, c’est d’aider chacun à poser un regard différent sur la vie, à s’interroger sur ce qui compte vraiment, et à nourrir des liens profonds et sincères. Je ne prétends pas avoir toutes les réponses, mais je pose les bonnes questions – celles qui permettent d’avancer avec plus de clarté et de conscience

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